La crise sanitaire va-t-elle remettre en cause les principes du ``Flex Desk`` ?
``Desk Sharing``, ``Flex Desk``... Mais qu'est-ce-que c'est ?
Le truc à la mode dans le monde d’avant
Cette tendance d’organisation du travail est née en 2013 et s’est répandue en effet de mode jusqu’à l’avant crise sanitaire. L’objectif majeur poursuivi par les employeurs demeure un gain d’espace, réduisant de fait les charges fixes. Ne nous leurrons pas, l’organisation du travail 2.0 est avant tout au service de “l’économique” et sa mise en oeuvre à rarement fait l’objet d’un dialogue social sincère et constructif.
Après la grande tendance de l’open space, mais aussi celle des espaces de coworking (un système idéal pour tous les travailleurs indépendants), un nouveau concept est né dans le secteur tertiaire : le desk sharing. De quoi s’agit-il?
Pour comprendre cette nouvelle tendance, un constat s’impose : d’après des statistiques, le taux d’occupation des bureaux dans la région Île de France oscille entre 50 à 60% ( source : JDN, Flore Saulnier pour Jones Lang Lasalle).
Un taux d’occupation qui s’explique par la mobilité accrue de tous les salariés : ils optent pour le télétravail, se retrouvent autour d’une table de réunion, partent en rendez-vous extérieur ou en séminaire… il devient donc possible d’installer un système de desk sharing, que l’on pourrait traduire en français par « partage de bureaux ».
Le desk sharing est un moyen pour les entreprises d’optimiser les espaces de travail : en effet, plus de bureaux attitrés, mais un certain nombre de bureaux mis à disponibilité des salariés en fonction de leur emploi du temps.
Cependant, il ne peut pas fonctionner sans un aménagement sur mesure : cloison acoustique pour que chacun prenne ses marques, mobilier de bureau adapté au changement de salariés. Pour être vraiment concluant, le desk sharing doit aussi s’accompagner d’un aménagement et surtout d’une augmentation des espaces communs : lieux de réunion, salles de video-conférence, espaces de détente communs sont autant d’éléments indispensables au bien-être de chaque collaborateur, surtout si ces derniers ne disposent plus d’un espace de travail attitré. L’enjeu est de pouvoir s’approprier collectivement un nouvel espace de travail.
Ce changement des espaces de travail va évidemment de paire avec de nouvelles manières de travailler et de s’organiser en entreprise. Des process collaboratifs, plus de transparence et d’interactions entre les salariés, mais aussi, comme on l’a vu, une mobilité accrue. Plus qu’un nouvel aménagement, le desk sharing est donc le reflet d’un autre mode de vie et de pensée !
Il est vrai que dans le monde d’avant, nous n’avions pas besoin de distanciation sociale, et encore moins besoin de désinfecter tous les espaces pouvant être partagés. Dans le monde d’avant, on pouvait même serrer la main de son collègue. Les plus jeunes d’entre nous s’en souviennent peut être…
Des limites organisationnelles maintes fois répétées !
Un mode d’organisation du travail révolutionnaire ?
Dans un open space, le cerveau serait en effet interrompu au mieux toutes les 10 minutes et nécessiterait environ 23 secondes pour se re-concentrer.
Ces dernières années, de nombreuses études ont démontré que l’open-space, avec ou sans “desk sharing” (partage de bureau) et autre “flex office” (bureau flexible) a radicalement changé la manière de travailler des personnes. Si les avantages sont nombreux, les inconvénients également. Jusqu’il y a peu, le bruit demeurait la nuisance principale attribuée à ces espaces désenclavés, suivi de près par le collègue envahissant (verbalement, physiquement, etc…) et l’odeur de nourriture réchauffée. Près de la moitié des personnes interrogées considèrent d’ailleurs que ces distractions perpétuelles impactent durablement la qualité de leur travail, toutes études confondues.
Dans un open-space, le cerveau serait en effet interrompu au mieux toutes les 10 minutes et nécessiterait environ 23 secondes pour se reconcentrer. Ethan Bernstein, professeur à la prestigieuse Harvard Business School, a d’ailleurs analysé en profondeur le fonctionnement réel de l’ Open-space, ainsi que ses conséquences.
Les “flex” organisations de travail favorisent les transmissions virales.
Justement, en période hivernale, période propice aux rhumes, bronchites, pharyngites, angines et autres infections respiratoires, l’absence de cloisons n’est pas de nature à ralentir la contagion des bactéries et virus. Entre toux retentissantes, éternuements sonores et mouchoirs en papier nonchalamment abandonnés par votre prédécesseur au desk, l’open-space perd un peu de son charme en temps de grippe saisonnière. Que celui qui ne s’est jamais senti dépourvu quand la bise (du collègue souffrant) fut venue, lève la main. C’est d’ailleurs en période hivernale que les stratégies machiavéliques d’évitement battent leur plein.
Cependant, l’open-space truffé de microbes et de personnes malades qui tombent comme des mouches n’a jamais été considéré comme fondamentalement rédhibitoire, et ce malgré une étude danoise de 2011 ayant prouvé que travailler dans un espace ouvert double les risques d’infections et d’absence pour maladie. Climatisation, partage de matériel (du clavier d’ordinateur au combiné de téléphone en passant par le bic mâchouillé, si, si), poignées de porte, etc. sont propices à la survie et à la propagation des micro-organismes. Des études en milieu hospitalier ont d’ailleurs prouvé que les virus de la grippe peuvent demeurer actifs de trois heures à deux jours sur ces surfaces dures et non poreuses.
Un positionnement CFDT très clair sur le sujet !
Flex office, attention danger !
Dans un article paru le 13 novembre 2019, Emmanuelle Pirat donne les éléments d’analyse CFDT.
Le flex office séduit de plus en plus d’entreprises, mais pas les salariés, qui vivent difficilement cette révolution du « sans bureau fixe ». Cet engouement patronal a des conséquences inquiétantes sur les conditions de travail.
En matière d’aménagement des espaces de travail, il y a des modes. Après les années open space, voici que le flex office ou flex desk (bureau flexible) arrive en force. Avec le flex, fini le bureau attitré, et bienvenue dans des espaces partagés, où le salarié s’installe en fonction des besoins de son activité.
Désormais nomade dans son entreprise, le salarié navigue (une fois ses affaires récupérées dans un casier) entre postes de travail en libre-service, salles de réunion s’il doit rejoindre son équipe, quiet room (salle de tranquillité) s’il doit se concentrer, « box téléphonique » s’il doit passer des coups de fil, etc. Un phénomène qui ne se limite pas aux start-up ou aux grandes entreprises désireuses de rajeunir leur image.
«Le flex se généralise à tous les secteurs, y compris dans la fonction publique», note Jérôme Chemin, délégué syndical central CFDT chez Accenture. Et c’est là qu’on pressent un premier hic : «Le flex a été conçu pour une population de consultants, qui est la majeure partie du temps chez le client, et qui ne vient donc que ponctuellement au bureau. Le problème, c’est qu’aujourd’hui on veut faire passer tout le monde au flex, même les fonctions support», alerte le syndicaliste. Imaginez un DRH à la recherche d’un bureau pour faire passer des entretiens de recrutement ou un comptable, avec toutes les informations confidentielles qu’il détient, s’installer sur un plateau au milieu de 20 personnes !
Chez Orano (ex-Areva), les militants CFDT accueillent d’ailleurs avec méfiance le projet de déménagement annoncé par la direction. «Pour nos métiers d’ingénierie nucléaire, nos contraintes et besoins d’organisation du travail ne s’accommodent pas du flex. Nous craignons un effet de mode, souligne Emmanuel Gaubert, délégué syndical, qui souhaite que le dialogue avec la direction permette d’éviter les travers d’une telle organisation.
On nous dit que ce mode de travail sera plus moderne et plus convivial. Mais rien ne le démontre.» Car, bien entendu, le flex est « vendu » par les aménageurs, comme par les directions, avec toute une novlangue vantant des espaces de travail censés décloisonner, faciliter les échanges, « stimuler la créativité », etc., « alors qu’il est avant tout motivé par un objectif financier de réduction des mètres carrés », recadre Jérôme Chemin.
Lutte des places
Partant du constat que les bureaux ne sont jamais tous occupés (les taux d’occupation sont généralement de 70% selon les services), les entreprises s’affranchissent du ratio un bureau pour un salarié. D’autant plus que le passage au flexs’accompagne toujours d’une incitation au télétravail ou au travail à distance dans des tiers lieux. Résultat ? «Il arrive que certains matins, des salariés soient obligés de repartir chez eux parce qu’ils ne trouvent pas de place disponible», raconte Laurent Bandelier, délégué syndical central CFDT d’Orange, qui a consacré un mémoire à la question (Orange a déjà organisé son site de la Défense en flex et projette de le mettre en place dans les 22 projets immobiliers en cours).
«En région parisienne, les gens ont déjà le stress des transports. S’il faut ajouter le stress de trouver une place en arrivant au travail, cela fait beaucoup.» Plus grave encore, le fait d’être SBF (sans bureau fixe) provoque chez les salariés un sentiment d’insécurité très préjudiciable. « La stabilité d’un individu se construit par des habitudes, un système de référence. S’il faut tout reconstruire tous les jours, c’est extrêmement dangereux pour l’équilibre. Le flex entraîne une précarisation de la personnalité par manque de repères », dénonce Sylvaine Perragin, psychothérapeute et consultante1.
De nombreux autres experts alertent d’ailleurs sur la déstabilisation et la déshumanisation à l’œuvre dans l’instauration du flex : dispersion des équipes et appauvrissement de la communication (il faut s’envoyer des mails pour se retrouver, collègues ne se parlant plus que par messagerie), isolement des salariés, sentiment d’être interchangeable…
« On a sous-estimé l’attachement du salarié à son bureau, que l’on a présenté comme une valeur rétrograde, ringarde. Alors que c’est au fond un élément de l’identité professionnelle structurant », souligne Jérôme Chemin, qui a réalisé un guide méthodologique afin d’accompagner les équipes syndicales confrontées à cette question2. « Il s’agit d’être extrêmement vigilant dans la mise en place du flex. Cela doit s’appuyer sur une analyse très fine des besoins des salariés, une étape d’expérimentation et un possible retour en arrière si cela n’est pas satisfaisant. » Alors, le flex, effet de mode ou transformation durable du travail ? Trop tôt pour le dire, mais la plus grande vigilance est de mise afin d’éviter que le bureau ne devienne un enfer pour les salariés.
Et la crise sanitaire dans tout ça ?
Repenser notre travail
La crise sanitaire a changé notre mode de vie, notre quotidien au travail et par effet de conséquence notre lieu de travail. Les deux mois de confinement ont permis de développer le télétravail et le chômage partiel modifiant de fait nos rituels d’organisation professionnelle. Mais si nous ne travaillons plus comme avant, aurons-nous encore besoin de bureaux et de grands sièges sociaux ? Laurent Berger le clame haut et fort, nous devons repenser dans son intégralité l’organisation du travail.
Pour le bureau aussi, il y aura un “jour d’après”.Tout a changé le 17 mars. Ce jour-là, des millions de salariés et des milliers d’entreprises se sont demandé comment ils allaient concilier production et confinement, vie professionnelle et vie privée. Sur le papier, rien ne s’opposait à un recours massif au télétravail, depuis chez soi. C’était du moins l’avis du ministère du Travail, qui estimait que 4 Français sur 10 sont en mesure de télétravailler, soit 12 millions de personnes. A comparer à une étude de la Dares, la direction statistique du (même !) ministère du Travail, qui estimait, elle, que près de 2 millions de salariés télétravaillaient, au vu des réponses des entreprise.
La crise est passée par là. Alors qu’il y a quatre ans, plus de la moitié des entreprises interrogées par la Dares affirmaient qu’il leur était impossible de mettre en œuvre le télétravail avant 2025-2026, toutes ont dû, bon gré mal gré, y avoir massivement recours. Aujourd’hui, en ce début mai, 25% de la population active travailleraient à domicile. Au-delà des enjeux de vie privée, de conformité au droit du travail, quels sont les implications sur les locaux des entreprises? L’enjeu est de taille: l’immobilier est leur second poste de dépenses… juste après les salaires.
Le télétravail plébiscité par les salarié.e.s
Les indicateurs semblent conformer que bon nombre de travailleurs souhaitent continuer à télétravailler.
Dans les mois à venir, les entreprises devront repenser leur organisation de travail pour prendre en compte ces nouvelles aspirations… Et dans les années à venir, ces mêmes entreprises devront également revoir la conception même des espaces de travail.
Chez de nombreux dirigeants, la réflexion était en cours depuis de nombreux mois. Elle devrait s’accélérer, et seront certainement un nouveau défi à relever pour les équipes CFDT. Car c’est par le dialogue social au plus près du terrain que devront prendre ancrage les nouvelles organisations du travail.
Des milieux de travail “plus jamais comme avant”
Les transformations qui s’opèreront dans le cadre de l’Après COVID, s’installeront-elles dans les bureaux sur le long terme ? Nous pouvons craindre que les entreprises n’auront pas la trésorerie pour modifier dans l’immédiat l’aménagement intérieur de leurs sites. Mais quoi qu’il arrive, les milieux de travail et l’expérience bureau ne seront plus jamais comme avant. Certaines directions encore réticentes face au télétravail ne le sont plus. En parallèle, la façon de concevoir les espaces de travail va changer, car face à un télétravail généralisé dont l’intérêt et l’efficacité auront été confortés, les salariés fréquenteront beaucoup moins le bureau qu’avant. Quel intérêt à venir au bureau, si j’y fais exactement pareil depuis mon domicile ? Ils viendront y chercher autre chose : des outils technologiques dont ils ne disposent pas chez eux ; la possibilité de voir réellement les gens, en plus grand nombre, et de ne pas se sentir isolés.
Nous pouvons imaginer que les comportements évolueront . Plus l’organisation post-confinement durera, plus elle impactera notre façon de travailler. Nous intégrerons de nouveaux comportements d’échanges et de proximité sur le lieu de travail, et le retour à ce qui prévalait avant sera alors impossible. Le Flex office ne demeurera pas, mais nous ferons sans doute en sorte de moins toucher les choses, d’être moins nombreux dans un même espace.
En tout état de cause, les militants CFDT ne vont pas chômer… C’est par le dialogue social que nous souhaitons construire les nouveaux modèles d’organisation du travail. Gageons que nos directions sois un peu plus à l’écoute que dans le monde d’avant.